Des moustaches pour la Joconde, Marcel Duchamp apprivoisé

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L’ homme qui mit des moustaches à la Joconde ne peut laisser indifférent. Un génie ? Perçu comme celui qui aurait tué la peinture Marcel D. était très joueur, ou pour le moins mutin. Duchamp fut incontestablement l’une des figures emblématiques de l’art du XXe siècle : il faut le redécouvrir au Centre Pompidou à Paris. Marcel Duchamp  détestait le milieu de l’art, dont il parlait comme d’un «panier de crabes» : «Vous m’excuserez, j’ai une partie d’échecs à reprendre », lâchait l'artiste pour échapper aux emmerdeurs ! Il adorait les échecs, fut même membre de l’équipe de France…

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« Talents, intelligence, humour... et climat ésotérique. En visitant cette exposition on comprend un peu l’extraordinaire aura dont Marcel Duchamp (1887-1968) », reconnaît le visiteur éclairé. Comment ce fils de notaire (Portrait du père de l'artiste, 1910) deviendra ce pur esprit du Grand Verre, mystère elliptique qui passionne les chercheurs, voilà le propos d'une savante promenade au Centre Pompidou. « Tout s'additionne ou plutôt se soustrait pour ne laisser que la substantifique moelle (de La Partie d'échecs, 1910, bucolique, songeuse et sous l'influence de Cézanne, à Le Roi et la Reine entourés de nus vites, 1912, abstrait, beige et d'un formalisme énigmatique) », note la critique Valérie Duponchelle.

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À la lumière des quelques gestes iconoclastes dadaïstes et de l’invention du readymade, le créateur de Fountain, la « fontaine-pissotière », est-il destructeur ? Le débat reste ouvert, nous assure Cécile Debray, la commissaire de l’exposition: le projet de Duchamp n’a-t-il pas été de la reformuler ? « C’est cette lecture renouvelée de l’œuvre peint de l’une des figures les plus emblématiques de l’art du 20ème siècle que propose l’exposition du Centre Pompidou. La Mariée mise à nu par ses célibataires, même, son « Grand Verre », œuvre hermétique et complexe, occupe dans ce débat un statut ambigu. On peut y lire tout à la fois la négation et la sublimation de la peinture à travers un tableau impossible », remarque la commissaire de Pompidou.

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Artiste singulier, Duchamp, à rebours de ses contemporains et de ses débuts fauves, regarde du côté du symbolisme. Cherchant à insuffler à sa peinture une dimension autre, antinaturaliste, il s’intéresse en effet à la littérature et la peinture de ce mouvement de la fin du siècle. Lorsqu’on l’interroge sur l’influence de Cézanne, Duchamp situe son « point de départ personnel » dans l’œuvre de Redon dont il admire les noirs, les échos poétiques mallarméens et les personnages nimbés. Un peu plus tard, il accolera sa Mariée à la « voie lactée », gigantesque nimbe qui marque son passage d’un état à un autre dans le « Grand Verre ». Ce singulier retour vers le symbolisme s’appuie sur des découvertes littéraires, celle surtout de la poésie de Jules Laforgue, dont la mélancolie ironique et les sonnets mêlent trivialité et jeux de mots.

Montrer et démontrer que le bon peintre et dessinateur que fut Duchamp s’est émancipé à 25 ans de la peinture, de ses rosées esthétiques et sensuelles, pour rejoindre les formes les plus neuves - et acides - de l’idée : «L’expression intellectuelle plutôt que l’expression animale», dit le jeune homme qui vieillit plus vite que la lumière et semble disparaître dedans ». «Je voulais m’éloigner de l’acte physique de la peinture, écrit Marcel Duchamp. Je voulais remettre la peinture au service de l’esprit ».

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Le parcours est en neuf salles. Laissons-nous guider par Philippe Lançon. « On y voit, avant et après tout, les puissantes peintures du jeune Marcel, tantôt cézaniennes, tantôt fauves, tantôt cubistes, avec parfois une flaque d’expressionnisme aux lisières charbon, évoquant Gauguin, Matisse ou Nolde. Des tableaux de Kandinsky, de Braque, de Derain, d’Odilon Redon, de Robert Delaunay, de Cranach qu’il aimait tant, du faux jumeau en ironie nucléaire Picabia, encadrent ceux de l’enfant doué, comme des maîtres d’école. Plus loin, il y a aussi les livres des auteurs préférés du cancre de génie : Laforgue, Roussel, Mallarmé, Lautréamont, Villiers de l’Isle-Adam et son Eve future. Puis viennent les objets, machines, photos, films, marionnettes, grimoires, broyeuses par quoi il prend conscience de la modernité, de la technique, de l’industrie, du mouvement qui élimine sans retour.

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La visite s’achève sur une réplique suédoise de 1991/92 du Grand Verre, dernière œuvre créée par Duchamp, sept ans de réflexion et de procrastination. Son titre ou sous-titre, la Mariée mise à nu par ses célibataires, même, explique celui de l’expo : «La peinture, même».Tout est dans la virgule, qui suspend le sens et même l’interdit.  Paz en 1975 écrit dans le Château de la pureté : «Picasso a rendu notre siècle visible ; Duchamp nous a montré que tous les arts, sans exclure les arts visuels, naissent et finissent dans une zone invisible.»

«Marcel Duchamp. La peinture, même», une cinquantaine d’œuvres peintes: genèse et talents du pape universel de l’art moderne Centre Pompidou (Paris IVe), jusqu'au 5 janvier 2015

www.centrepompidou.fr

1 comment

  1. Des moustaches pour la Joconde Marcel Duchamp a... 3 octobre, 2014 at 04:55 Répondre

    […] L’ homme qui mit des moustaches à la Joconde ne peut laisser indifférent. Un génie ? Perçu comme celui qui aurait tué la peinture Marcel D. était très joueur, ou pour le moins mutin. Duchamp fut incontestablement l’une des figures emblématiques de l’art du XXe siècle : il faut le redécouvrir au Centre Pompidou à Paris. Marcel Duchamp détestait le milieu de l’art, dont il parlait comme d’un «panier de crabes» : «Vous m’excuserez, j’ai une partie d’échecs à reprendre », lâchait l’artiste pour échapper aux emmerdeurs ! Il adorait les échecs, fut même membre de l’équipe de France…  […]

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