Nouveaux hérauts de l’artisanat les "noventiques"

Vous connaissez les « noventiques » ? C’est le mot tendance, du Comité Colbert, venant de « nov » comme innover et d' « entique », comme authentique : parfait pour parler des objets associant patrimoine et avant-garde, héritage et créativité. Ce vocabulaire nouveau, prévu pour durer jusqu’en 2074, a pour objectif d’amener les créateurs du luxe à anticiper les tendances, à bousculer l’ordre établi. « La création artisanale s’attire les faveurs des géants du luxe et de jeunes entrepreneurs fétichistes du fait main, écrit Edson Pannier. À eux tous, ils forment le sémillant club des « noventiques ». Tout est dit ? Non, la preuve ce papier des Echos Week End que nous avons dégusté au Paris Post. Nous vous le livrons ! Car cette année, 4 000 artisans ont participé à la toute première édition du Prix d'artisanat Loewe, récompensant de façon inédite l'innovation par la tradition. À l'origine du projet, Jonathan W. Anderson 32 ans, Irlandais voue un culte immodéré aux artisans. Mieux, il jure de leur modernité : « L'artisanat est très pour moi, c'est une immense source d'inspiration. C'est pourquoi j'ai souhaité créer une structure permettant de mettre en valeur des objets élaborés à la main par des céramistes, des vanniers, des créateurs de mobilier, des joailliers et toutes ces personnes qui travaillent dans l'ombre et sont souvent injustement méconnues », explique-t-il. Après une première shortlist, un panel d'experts a porté son dévolu sur l'Allemand Ernst Gamperl pour son oeuvre Tree of Life 2, actuellement présentée aux côtés des 25 autres finalistes dans une exposition itinérante, de Madrid à Londres, via New York puis Paris au mois de septembre.

"Pour définir ces artisans des temps modernes, ces curieux adeptes de techniques ancestrales à l'heure du tout numérique, l'emploi d'un néologisme s'impose. Le philologue Alain Rey l'a forgé dans le cadre du projet « Rêver 2074 » lancé par le Comité Colbert pour imaginer le luxe de demain. Voici donc les « noventiques » définis ainsi : « Ce mot est formé sur le radical nov-, d'innover et de nouveau, et la finale de l'adjectif authentique. Ce mot transmet - concurremment avec innoventique, qu'on a trouvé trop long et qu'il a pratiquement éliminé - l'idée d'une association intime entre l'innovation, la nouveauté, d'une part, et, de l'autre, l'authenticité, fondée sur une tradition de savoir-faire hérité et sans cesse amélioré. »

Plus qu'un effet de mode, le regain d'intérêt constaté ces dernières années pour la chose artisanale s'inscrit de manière pérenne dans notre société. On ne compte plus, aujourd'hui, le nombre de grandes maisons qui, à l'instar de Loewe, ont fait de l'illustration de leurs savoir-faire l'axe majeur de leur communication. Citons d'abord Chanel, qui organise depuis quinze ans son défilé des métiers d'arts, une déclaration d'amour à Lesage, Maison Michel, Goosens ou Lemarié - ces ateliers qui ont lié leur destin au sien. Outre-Manche, Burberry, pourtant à l'avant-garde en matière de nouvelles technologies, a aussi décidé de s'emparer de la thématique, en remettant les artisans au centre de son propos depuis sa première saison de « see now/buy now » en septembre 2016, qu'il s'agisse de collaborations avec le collectif des « New craftsmen » -  agrégation de « nouveaux artisans anglais » - ou de créations mettant en avant le savoir-faire... On se souvient également du festival « Hermès hors les murs » qui, en novembre dernier, réunissait sous les verrières du Carreau du Temple, une dizaine de workshops autour des métiers maison. Enfin que dire à la vue de ces files d'attente à n'en plus finir lors des Journées Particulières LVMH (propriétaire du groupe Les Échos), offrant une immersion exclusive dans les coulisses des enseignes du groupe, à la rencontre des petites mains ? « Il y a un besoin de retour au sens et un intérêt de plus en plus fort pour l'histoire des objets que nous utilisons, analyse Élisabeth Ponsolle des Portes, déléguée générale du Comité Colbert qui rassemble les plus grands noms du luxe français. La question du développement durable est également au coeur des préoccupations. Le tout jetable touche ses limites, ce qui est une bonne nouvelle pour l'industrie du luxe qui fabrique des objets sur lesquels l'obsolescence n'a pas de prise. »

Chaque année, le Comité présente désormais des artisans au titre de chevalier de l'ordre des Arts et des Lettres. Le 12 avril dernier, six ont été distingués : Nathalie Blaise, modeleuse chez Baccarat ; Arnaud Davenne, orfèvre chez Puiforcat ; Jacqueline Deverchère, chef d'atelier création et tissage éponge chez Yves Delorme ; Josette Gonnot, croiseur de fils chez Hermès ; Eric Lebel, chef de caves chez Champagne Krug ; Céline Vergne, chef des ateliers « peint main » et « émaillage » au sein des Faïenceries de Gien... En tout, 37 personnes ont ainsi été décorées pour leur savoir-faire depuis 2006. « La forte représentation féminine au sein de cette promotion est un bel encouragement pour toutes les jeunes femmes intéressées à rejoindre les métiers de la main », se réjouit Élisabeth Ponsolle des Portes. Mais pas question d'y voir là un hommage rendu aux derniers survivants d'un passé révolu. Pour la représentante du Comité, on peut, bien évidemment, être novateur tout en perpétuant des savoir-faire ancestraux. « C'est là le secret des maisons françaises du luxe qui s'inscrivent dans une histoire parfois pluricentenaire, et qui prouvent année après année leur capacité à se renouveler. Création et savoir-faire sont les deux piliers du luxe français, très engagé dans la transmission. Sa force c'est aussi d'inspirer de nouveaux acteurs particulièrement créatifs et attachés à ces valeurs. » Parmi ses membres, le Comité Colbert compte d'ailleurs plusieurs maisons créées à la fin du xxe siècle, voire même au début du XXIe. C'est le cas de Maison Francis Kurkdjian, de Pierre Hardy ou des Editions de Parfums Frédéric Malle, pour ne citer qu'elles. Des « noventiques » de la première heure.

Innover par la tradition, c'est aussi le pari d'Antonin Mercier, fondateur de Laps. Après plusieurs années passées dans le marché de l'art, ce collectionneur de montres des années 50 s'est mis en tête de concevoir des objets singuliers. Pendant qu'il se forme au dessin industriel à l'École Boule, il élabore un concept de montre à l'allure rétro, qu'il fabrique à Paris en série limitée. Dans son atelier, rue de Bellechasse, il conçoit ce cadran rectangulaire dans lequel il incruste de l'ébène du Gabon, des clichés d'Edward S. Curtis, des nus érotiques des frères Biederer, des morceaux de charbon remontés des cales du Titanic ou du Washi, ce papier japonais quasi millénaire issu des fibres de l'écorce des branches du mûrier. Le concept est déclinable à l'infini. « J'avais eu l'occasion de mettre un pied chez des artisans. L'intelligence du geste répété, la précision... tout cela m'a donné envie de perpétuer un savoir-faire à ma manière », raconte Antonin Mercier. « Quand je demande à des artisans de faire de la refente de cuir et que j'annonce que je vais mettre ça dans des cadrans, ça pique aussitôt leur curiosité », s'amuse-t-il.

Présente dans une vingtaine de points de vente en France, en Belgique et au Luxembourg, Laps part désormais à l'assaut du marché japonais, preuve que les start-ups de l'artisanat peuvent elles aussi être promises à un brillant avenir. De quoi insuffler l'espoir chez tous les noventiques passionnés qui font des savoir-faire d'hier les trésors de demain".
Photo ©Laps et ©Burberry et Comité Colbert
https://www.lesechos.fr/week-end/mode-et-beaute/series-mode/030371379519-les-nouveaux-herauts-de-lartisanat-2093123.php#h9r5BrbXoK3vV46z.99

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